Miscelâneas
Les Favelas, la ville et le PAC urbain

Les projets du PAC[1] pour la structuration socio spatiale de la ville divisée fragmentée, entre morro (favelas) et asfalto (ville formelle) ont pour objectif principal la matérialisation d’espaces de connexions, de passage et de contact, entre deux réalités aujourd’hui en grande partie déconnectées.

Cette matérialisation implique de penser, d’élaborer de manière adéquate, et de rendre concrets des lieux de coexistence des différences, des lieux de rencontre et d’échange à l’échelle de l’ensemble de la ville, et ce dans le but de rendre un caractère véritablement collectif à la vie des citoyen.

C’est là le mérite du PAC Urbain : par la réalisation d’équipements tels que le téléférique dans le Complexo do Alemao et la Rambla[2] à Manguinhos, ces espaces jusqu’à aujourd’hui délaissés par les pouvoirs publics (et par l’ensemble de la société) se dotent non seulement d’équipements d’intérêt social, mais, au-delà de cela, la présence de l’Etat dans les territoires les plus abandonnés de la ville est également réaffirmée.

Avec ce programme, les communautés composant le Complexo do Alemao et Manguinhos ne disposeront pas seulement de nouvelles et meilleures conditions de vie, ainsi que de services publics plus complets (transports, éducation, accompagnement professionnel, santé, culture, accessibilité, environnement, logements, circulation interne et connexions avec l’extérieur. Elles jouiront également de meilleures conditions de sécurité dans les différentes constructions des communautés, des quartiers limitrophes, ainsi que dans l’ensemble de la ville, contribuant ainsi à désenclaver ces lieux aujourd’hui stigmatisés.

C’est précisément cette articulation entre le physique (infrastructurel-urbanistique-environnemental) et le social (économique-culturel-humain) au niveau du territoire, qui représente une grande innovation et un apport non négligeable du PAC à l’amélioration de la ville dans son ensemble, comme un tout. La marche vers la requalification urbaine est ainsi ouverte, et c’est ce dont Rio de Janeiro ne peut faire l’économie si elle veut améliorer le quotidien de ses habitants, et proposer sa candidature à des événements d’ampleur internationale. Autant de conditions pour contribuer substantiellement à la récupération du statut de « Ville Merveilleuse », mais merveilleuse pour tous, même pour les exclus des bénéfices de l’urbanité.

Voilà pourquoi le PAC doit être célébré comme l’inauguration d’une nouvelle étape de l’action des pouvoirs publics dans leur fonction de régulateurs des intérêts des citoyens. Il ne fait aucun doute qu’une tâche fondamentale à cet égard sera de rendre son prestige à la périphérie, en la dotant d’équipements rayonnants et de services capables de promouvoir la vie associative, au plus haut niveau, comme un moyen de connecter les espaces fragmentés et de réarticuler la ville.

Aujourd’hui, en temps de « capitalisme de casino », les villes, et en particulier les métropoles se transforment à grande vitesse, exacerbant ainsi les inégalités entre les bénéficiaires et les exclus des jouissances offertes par la ville, par l’urbanité, et par l’espace public. Des quartiers par le passé séduisants en tant que lieux de vie, tel que Botafogo, se voient maintenant détruits par la spéculation immobilière et par la transformation des rues «artérioscléreuses » en de simples « conduits » de circulation et de stationnement automobile, sacrifiant ainsi complètement les piétons qui disposent de trottoirs minuscules et semés d’obstacles. C’est pourquoi le problème n’est pas uniquement lié à la « verticalisation » de la ville comme on n’a cessé de le dire à tort, mais bien plutôt à une construction - tant sur l’asfalto que sur les morros – qui ne prend pas la ville en compte, et dont résulte une urbanité dépourvue d’espaces publiques de qualité.

Si la « durabilité » fait en ce moment couler beaucoup d’encre, il est nécessaire de prendre en compte le fait que le recyclage intellectuel, le recours aux analogies, aux métaphores et aux adaptations, est tout aussi important pour la production de nouvelles solutions que le recyclage d’objets matériels pour la survie de la planète.

Comme toujours, il ne s’agit pas là d’un problème quantitatif (la quantité de mètres carrés construits), mais bien qualitatif : il ne suffit pas d’avoir des « unités habitationnelles », des écoles, des crèches, des universités, des hôpitaux, des structures d’insertion etc. Il faut en revanche que chacune de ces infrastructures reflète le plus possible notre capacité à désirer, à construire, dans la mesure où notre environnement offre des repères stimulants pour le développement d’une vie sociale intense, et où l’évolution de chacun peut trouver un « milieu »[3] efficient. Et cette question ne peut simplement être traitée à travers le prisme du « coût » économique, comme le prouve le fait que la construction précipitée à bon marché d’immeubles laids, de quartiers laids, et de villes laide, réponde généralement à peine aux « besoins » recensés. Il s’agit plutôt de se préoccuper des résultats globaux, du type d’environnement qui résultera des décisions prises et des actions mises en place.

C’est toute une manière de traiter ces questions, qui affectent la vie de l’ensemble des citoyens sans exception, qu’il convient aujourd’hui de repenser, de bouleverser, et de recadrer. Cela est directement lié à la nécessité de modifier les comportements des citoyens, toutes classes sociales confondues, à l’égard de la « chose publique », de ce qui appartient à tous, des espaces collectifs, et des conséquences de nos actes. Quelques exemples : le stationnement peu civil en face des écoles dans les quartiers de la zone sud, et qui font du trafic automobile un véritable enfer dans une ville chaotique ; les gens qui urinent sur la voie publique et sur les plages, faisant ainsi preuve d’un manque flagrant de décence dans l’espace public, ou encore l’indifférence totale à l’égard des sans-abri et des « gosses de rue » omniprésents dans la ville ; l’intolérance, les préjugés. Tout cela requiert, selon l’expression de Jacques Derrida, une véritable « thérapie politique ».

Voilà le message porté par ces projets : contribuer, de manière concrète, au développement d’une réflexion et d’une action généreuses, sur la ville de tous les citoyens.

[1] Programme d’Accélération de la Croissance, lancé par Lula en 2007, et dans lequel l'Etat investit 196 milliards de dollars. Il comporte trois volets principaux : social et urbain, logistique et transports, et énergétique.
[2] Promenade
[3] En français dans le texte

Jorge Mario Jáuregui